• I

    Désillusions. Amusant combien Adelan n’avait plus que ce mot qui lui trottait en tête. Combien de fois s’était-il assis sur le sol de son appartement pour contempler un point invisible devant lui, l’esprit complètement ailleurs? Combien de fois avait-il eu l’impression que sa vie était devenue si banale qu’il n’en comprenait tout simplement plus le sens? Et c’est là qu’il se perdait.

    S’il lui avait semblé que tout le monde passait sa vie à y chercher un sens, Adelan avait toujours su quoi faire sans se poser la moindre question, comme si sa vie avait été tracée d’avance et qu’il ne lui suffisait plus que de suivre le chemin. Il avait étudié, comme tout le monde, il y avait mis beaucoup de son temps, mais sans vraiment y sacrifier quoi que ce soit. Il avait toujours eu une étonnante facilité, le distinguant ainsi de tous ceux de sa promotion qui avait mis le double de ses efforts pour arriver à des résultats satisfaisants, mais n’égalant point ceux d’Adelan. Alors pourquoi, me demanderez-vous. Pourquoi se trouvait-il dans une telle situation, frappé soudainement par un profond et incurable désintérêt?

    À vingt-huit ans, Adelan venait de plaquer sa carrière en médecine, prenant soudainement conscience qu’il ne possédait le dont de consoler le patient et qu’il était, la plupart du temps, tellement accablé par certain diagnostic qu’il s’en retrouvait complètement mortifié. Ainsi, il avait rempli une seule boîte des quelques affaires personnelles qu’il avait cru bon d’amener sur son lieu de travail, et il avait quitté, comme l’on aurait pris n’importe quelle banale décision.

    Il ne connaissait pas non plus les tracas que pouvaient apporter des difficultés financières. Ayant bénéficié d’une bourse d’études pour excellence scolaire lors de son parcours collégial, Adelan se retrouvait ainsi sans la moindre dette et ses économies lui permettaient de vivre assez confortablement. Et c’est ainsi, débarrassé du moindre souci financier, qu’Adelan contemplait ses pires angoisses, celles de ne plus savoir, celles de ne plus rien faire, celles du silence et de la contemplation.

    II

    Sept jours. Voilà le temps qu’il lui avait pris pour quitter les quatre murs de son appartement.  Sa décision lui apparaissait d’ailleurs des plus logiques. D’abord, il ne lui restait plus de whiskey, ni de cigarette, puis, l’odeur ignoble des vieilles boîtes de pizza où reposaient encore quelques pointes desséchées avait fini par lui monter à la tête. Ainsi, ayant préalablement la décence de prendre une douche, il s’était engouffré dans les rues désertes que lui offrait la nuit.

    Pendant plusieurs heures, il avait arpenté ces lieux, découvrant ce qu’il n’avait jamais cru bon de découvrir, sentant ce qu’il n’avait jamais senti, vivant ce qu’il n’avait jamais vécu. Rapidement, les sorties nocturnes d’Adelan devinrent un rituel, une toute nouvelle porte de sortie. Il prit rapidement goût aux surprises que lui réservaient ses escapades, choisissant minutieusement des parcours différents pour chaque sortie.

    Ainsi, il goûtait à cette vie qu’il avait toujours ignorée et enfin, il put acheter cette paix d’esprit qu’il lui avait soudainement été dérobé. Dans l’alcool, il avait su faire taire sa conscience trop bavarde et observatrice. Puis, ses rencontres aux lupanars lui avaient permis d’oublier la solitude qu’étaient devenues ces longues nuits de quêtes sans objectif. Quant aux drogues, il s’y donnait à loisir, pour faire changement, se disait-il.

    Pour faire changement… À quoi bon? Les jours avaient-ils tant passé que ses sorties constituaient maintenant une habitude?

    III

    « Mes désillusions. » Un point de départ. Une rêverie, peut-être, ou une amère chimère.

    Confortablement installé, Adelan observait ces pages qu’il avait écrites, à la hâte, une journée sans sommeil où il avait cru bon d’extérioriser ce qu’il lui avait passé par l’esprit. Depuis quand avait-il été quelqu’un pour les arts? Depuis quand avait-il su seulement s’exprimer, lui qui n’était pas marié et qui jouissait de la chair des femmes quand on en lui donnait l’occasion? Lui qui ne parvenait même pas à donner un diagnostic…

    Était-ce dont là qu’il avait perdu la carte? Il ne savait dire. Il se souvenait vaguement de ce sentiment qu’il l’avait envahi en observant les résultats des tests sanguins d’une femme d’environs son âge qui était voué à un funeste destin.

    Et encore une fois, elle était venue tout changer.

    Dans un profond moment de lucidité, Adelan s’était retrouvé à son ordinateur, tapant l’histoire de cette rouquine imaginaire, cette rouquine dont il avait oublié le nom. Comme quelques mois auparavant, il s’était de nouveau retrouvé entre les quatre murs de son appartement, entouré de repas instantané et de cendriers pleins à craquer. Sa conscience, trop laissée de côté, était revenue en force et ne le lâchait plus. Ainsi, il avait rapidement pris l’habitude d’écrire nuit et jour. S’il dormait, il ne s’en rendait pas vraiment compte et, lorsqu’il se réveillait, une cigarette plus que constituée de cendre entre les mains et les touches du clavier étampées sur la joue, il poursuivait son écriture. Tout pour effacer les remous incessants de sa conscience.

    Était-il devenu fou? Il n’en savait trop rien, et ça lui aurait, d’une manière où d’une autre, été complètement égal.

    Lorsque l’œuvre fut terminée, Adelan la contempla une seule fois, se soula en souvenir du bon vieux temps, songea à la brûler, puis, il remplit une valise de ce qui lui sembla utile et quitta son appartement.

    IV

    L’on ne trouva jamais l’œuvre d’Adelan. Deux mois après son départ, la porte de son appartement fut défoncée à la demande du propriétaire qui ne recevait plus de paiement, ni de nouvelles du jeune homme. La plupart de ses choses furent vendues, d’autres simplement jetés, dont la pile de feuilles désordonnées qu’avait constituée son manuscrit.  

    Enfin, tout comme ce manuscrit oublié, Adelan s’effaça complètement et, rapidement, il ne devint plus qu’un vague souvenir, ou le reflet étrange de toutes désillusions.

     

     


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  • L’amour absolu. C’est l’amour des mots. L’amour de quand il les prononce, de sa voix rauque et grave. Je trouve en lui l’amour absolu, je vis pour celui-ci, pour que l’on me prenne dans ses bras, qu’on m’enlace avec force, et puis, que l’on me parle calmement, comme si l’on avait tout le temps du monde. 

    Tu es noir, Amour absolu. Noir de nuit, d’une nuit froide du Labrador. Noir, comme tes yeux, noirs comme tes cheveux. Noir comme ton âme. Car dans toute ta splendeur, dans mon admiration sans égale, je sais que ton âme est noire. Et tu te trouves, encore je sais, sale comme le charbon.

     Mais toi, Amour absolu, si tu es parfois noir, tu es aussi blanc. Blanc comme ta peau blême et immaculée. Blanc comme la neige qui recouvre si longtemps la toundra du Labrador. Tu rayonnes dans les nuits interminables de janvier. Et moi, je me nourris de toi, je me laisse transporter lorsque tu parles, de tes mots si justes, si brillants, qui contrastent avec ton âme telle une aurore boréale.

     Tes mots bercent ma vie. Ils sont la source de mon existence. Lorsque tu m’enlaces, Amour absolu, j’écoute ta voix résonner dans ta poitrine, et je m’endors en pensant à toi, à tes mots, et puis à toi encore un peu.

     Je me perds à toi, Amour absolu. Je me perds à tes gestes. Je me perds à tes paroles. Je me perds à ton âme. Je me perds à toi, lorsque tu me prends, absolument, comme s’il n’existait d’autre femme sur cette Terre. Tu me fais l’amour absolu, et je fonds, je fonds, je fonds à tes pieds.


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  • Ironique. L’on m’en a parlé une fois ou deux. Que l’on m’en qualifie par contre, il s’agit là d’une première. Et moi? Je m’en esclaffe, je rigole, je jubile. L’ironie, je la vois tous les jours et je l’emploie constamment. L’ironie est le procédé formel qui pimente ma vie. La platitude d’une phrase vide m’endort. Quant au sens propre et littéraire, ils agissent sur moi tel du venin, obstruant mon œsophage jusqu’à ce que je ne puisse plus respirer. Le non-dit est mon masque à gaz, l’illusion, ma trachéotomie.

    Et toi? Tu jubiles aussi. Tu es l’ironie qui m’aide à respirer. Ta seule existence qui contredit toutes les normes agit sur moi tel un aimant. Ce magnétisme, tu le connais, tu le ressens toi aussi, mais ta liberté t’oblige à l’oublier, alors que moi, je reste là, les bras battants, à te regarder et à attendre en silence que tu m’en offres plus. J’attends que tu me regardes, que tu poses surmoi un regard entendu, empli d’une complicité commune. Ironiquement, mon rire sans toi est faux, mon existence n’est plus qu’une façade. Mais toi, dans ton inépuisable liberté, tu gardes les pieds sur terre et, partout où tu vas, tu t’imposes tel un maître absolu.

    L’ironie est ma carapace que seul toi parviens à briser, d’un seul et unique coup de poignard. Violence, voilà ce que tu as toujours été. Tu aimes le sang, la chair et la vie. Si tout comme moi tu te camoufles derrière l’ironie, tu demandes aux autres une vérité déstabilisante. Les larmes, elles ne te gênent pas le moins du monde, les rires non plus.

    Tu te tiens grand, droit et fier. Tes craintes, personne ne les connait. Elles sont enfouies quelque part au fond de ton être là où personne n’a accès. À toi seul, tu parviens à composer la plus grande énigme de ma vie, et tu le sais, ça me rend malade, alors que toi, tu me lis comme un livre ouvert.

    Je suis tout entière devant tes yeux. L’ironie laissée de côté, je te balbutie des paroles sincères, attaquée soudainement par le trac. En ta présence, un voile tombe et je suis toute à toi, sans le moindre faux semblant. Ton regard me perce et je me sens mise à nue et, devant toi, je m’offre tout entière.

     

     


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